Paris / Marseille est le premier volet d'une série de quatre expositions : Paris / Marseille, Paris / Bordeaux, Paris / Nice et Paris / Paris.
Le propos de ce cycle fait suite à un ensemble de discussions autour d'une tentative de définir une scène française. Le sujet est à la fois complexe et sensible, tant il apparaît que cette scène est plurielle et mouvante. Plutôt que de s'acharner sur une définition impossible, j'ai décidé de prendre appui sur 4 villes françaises qui ont un lien avec l'histoire de la galerie et de ses projets. Paris capitale s'alimente de scènes et de moments périphériques, et loin de penser ces autres villes comme provinciales, il conviendrait de les considérer comme périphériques et autonomes. Ainsi ces différents territoires ont pu incuber des réflexions et nourrir des échanges qui ont ensuite alimenté cette scène française, hybride de toutes ces expériences.
Le premier opus évoque Marseille, non pas pour définir la ville ou faire le récit d'une cité incroyablement créative, métisse et indépendante, mais pour entrevoir comment quelques artistes l'ont explorée et parfois revendiquée. Ainsi Richard Baquié, Anita Molinero et Kevin Rouillard sont les trois artistes de ce projet forcément non exclusifs. Ils ont en commun d'être des sculpteurs qui utilisent des matériaux récupérés et identifiables.
Dans leurs écrits ou entretiens, le terme colère est présent et se ressent. Baquié parle de la "violence qui me motivait", Molinero de colère populaire lorsqu'elle désigne les restes de poubelles incendiées lors de manifestations phocéennes, Rouillard lors de différentes discussions sur l'intensité physique nécessaire à la réalisation de ses pièces voire le titre même de certaines de ses séries ("extrait tôle choc, le sang des impurs")..
D'ailleurs, le titre de la dernière exposition de Kevin Rouillard à la galerie, "soudure et mayonnaise", évoquait un regard sur le travail à la chaîne et l'abrutissement dans la répétition physique des gestes. On retrouve cette approche chez Richard Baquié, soudeur de formation. La revendication d'une culture ouvrière fait partie de leur processus de travail, et leurs références populaires (la science-fiction, la bande dessinée, le cinéma d'action et les musiques urbaines) s'invitent dans une géographie de la sculpture contemporaine.
Chez chacun d'eux, l'emploi de matériaux ordinaires et délaissés vient là encore déconstruire une esthétique bourgeoise, dans le prolongement des Nouveaux Réalistes, des mouvements anglais, ou encore des Combines de Rauschenberg. Ces objets portent souvent une symbolique de déplacement, que ce soit des containers, des bidons, des carcasses de voiture. Ces sculptures composent souvent avec leur environnement tout comme Allan Kaprow l'avait défini avec Yard en 1961 et qu'il commence à théoriser le concept de "garagisme". Plus tard Pierre Restany reprendra ces réflexions pour penser les Nouveaux Réalistes.