It Won’t Be Long Now (chap. 2)
Commissaire : Anna Milone
Samedi 13 décembre 2014 de 17h à 19h :
Lancement de Staging Interruptions (Stream of Life), un magazine édité par Mary Rinebold et conçu par Maria Eisl, fondé sur l'exposition “Staging Interruptions (Stream of Life)” (commissaires : Sarina Basta et Mary Rinebold), Southard Reid, Londres (janvier 2014).
Avec It Won’t Be Long Now, Nicolas Garait-Leavenworth présente un voyage en trois volets – un triptyque ayant pour cœur ce chapitre 2 qui retrace sa traversée en mai 2014 du Pacifique nord à bord d’un porte-container, de Hong Kong à Los Angeles. Un voyage étiré dans le temps, symbole des accélérations de l’époque mais aussi du visage véritable d’un monde dont on peine à tirer aujourd’hui tous les fils. Entre fiction et enquête, Garait-Leavenworth développe son périple en une installation rassemblant indices, photographies et coupures de presse qu’accompagnent des vidéos mêlant les images captées lors de son voyage et des extraits de films. It Won’t Be Long Now (chap. 2) s’ouvre sur un décor inspiré du film In the Mood for Love de Hong Kar-Wai et se termine à Los Angeles avec une série de photogrammes troués de citations du Printemps Barbare d’Héctor Tobar ou du Chardonneret de Donna Tartt.
Ce projet a reçu le soutien de la FNAGP, Fondation Nationale des Arts Graphiques et Plastiques.
Chapitre 1 : Shanghai – Macao – Hong Kong.
Chapitre 2 : Océan Pacifique nord.
Chapitre 3 : Los Angeles – Las Vegas – New York.
Ou comment replier la carte du monde en suivant la ligne de changement de date pour en déterminer les correspondances.
6 août 2013 : décès d’Allan Sekula.
Ou comment le pouvoir se déplace peu à peu de l’Atlantique vers le Pacifique.
13 avril 2014 : départ pour Shanghai.
Production asiatique, consommation occidentale : ou comment 90% des échanges de marchandises dans le monde se font par voie maritime.
27 avril 2014 : départ de Hong Kong à bord du porte-container Ever Champion – 340m de long, 43m de large, près de 100 000 tonnes, charge maximum 6 000 containers remplis d’une marchandise inconnue, sous pavillon allemand, affrété par la compagnie Evergreen (Taïwan), vitesse moyenne de 18 nœuds marins (environ 33km/h). Quatre officiers (trois Allemands, un Polonais), dix-huit membres d’équipages, tous Philippins ; un passager, qualifié de « surnuméraire ». Une technologie désuète et fragile (du gasoil et une hélice, des containers standardisés de 20, 40 et 45 pieds dont le moindre choc implique un recyclage immédiat).
14 mai 2014 : arrivée à Los Angeles
Ou comment l’espace est un enjeu, comment il se transforme, comment il nous transforme.
29 mai 2014 : départ de New York
Ou comment passer d’un simple décor à l’hyper-réalité d’une architecture transactionnelle – de la déliquescence à la Wong Kar-Wai d’une ancienne colonie à celle d’une salle de casino.
Ou comment partir à la découverte du monde de demain et de sa face invisible ; comment en faire vraiment partie.
Le titre du projet est tiré d’une affiche entraperçue dans un épisode de The Leftovers.
Nicolas Garait-Leavenworth, novembre 2014
Huntington Park vivait une période d’opulence médiocre grâce aux mannes illusoires des hypothèques immobilières et à l'argent gagné avec les heures supplémentaires d'un labeur abondant dans les ports, les gares de triage et les entrepôts de déchargement de marchandises produites par une révolution industrielle qui se déroulait de l'autre côté du Pacifique.
Héctor Tobar, Printemps Barbare, 2011
Histoire, fiction et espace : trois éléments qui se retrouvent dans les œuvres de Nicolas Garait-Leavenworth, dont celles successivement dédiées à l’exposition universelle de New York en 1964 (Understanding Through Peace, 2011), à l’engagement de Jean Seberg pour les communautés noires de Los Angeles (White Dog, 2012) et au flot de conscience et d’histoires que charrie avec elle la rivière de Los Angeles (I See A Stream Of Cars Where No Man Has Dared To Drive Before, 2013).
Trois éléments marquant les trois chapitres de son nouveau projet, pour lequel il a fait l’expérience de la traversée du Pacifique à bord d’un porte-container. Mêlant toujours ses images à des artefacts et à des références littéraires et cinématographiques, l’exposition It Won’T Be Long Now (Chap.2) est le deuxième chapitre d’un triptyque qui mène l’artiste de Shanghai, Macao et Hong Kong à Los Angeles, Las Vegas puis New York, passant d’un monde à l’autre à travers les “Pacific-facing nations”. Après deux arrêts à Taïwan (Kaohsiung et Taipei) pour charger une marchandise inconnue, il faudra trois semaines à l’artiste pour aller de Hong Kong à Los Angeles, avec des containers pleins qui repartiront vides de la côte ouest des Etats-Unis de retour en Asie. L’artiste avait besoin de sortir de sa zone de confort pour voir les rouages du commerce maritime et ses conséquences multiples sur les conditions humaines et matérielles – une sorte d’hommage au Fish Story d’Allan Sekula, décédé en 2013.
La porte d’entrée de la galerie devient celle d’un container, l’un de ceux que Nicolas Garait-Leavenworth a eu tout le temps d’observer durant ses dix-neuf jours en tant que “surnuméraire” à bord du Ever Champion. Elle s’ouvre sur Hong Kong et l’œuvre The Commissioner (I watched In The Mood For Love without any subtitles while crossing the Pacific Ocean on a container ship and I unilaterally decided that it took place in 1964 – not 1962 – and that Maggie Cheung was NOT working for a maritime transport company in Hong Kong - but for the Inland Revenue Service), 2014. Le décor est posé, souvenir d’un premier chapitre à venir.
Les cartes maritimes, régulièrement corrigées jusqu’à ce qu’elles soient considérées impropres à la navigation, sont le support de l’œuvre qui donne son nom à l’exposition, accumulation d’images et de mots témoignant de la recherche effrénée de l’artiste. Celui-ci place des repères dans l’espace et le temps qui sont autant d’indices qu’il est aisé de perdre de vue. Les coupures de journaux qui ponctuent la carte sont une référence à l’une de ses activités sur le bateau, à savoir lire chaque jour et de bout en bout les journaux achetés avant son départ (nouvelles d’un futur antérieur), alors qu’il fait collecter la presse par d’autres durant son voyage. Il vit l’expérience du rythme étrange qui règne en mer, qui lui fait vivre deux fois le 6 mai 2014, aléas de la course à 35 km/h des cargos avec les fuseaux horaires. Ces extraits d’actualité marquent la ligne de temps de son voyage, chacune étant extraite d’un journal publié un jour où il était à bord.
A ses photos de milliers de containers passant de structures portuaires de plus en plus automatisées aux ponts des bateaux (et vice versa), répondent des images tirés de séries, de Dexter à 24, et de films, de All is Lost à Hijacking en passant par Les diamants sont éternels ou Captain Phillips, références que l’on retrouve, altérées par un écran, dans un film divisé en trois projections (puisqu’une seule n’est jamais suffisante pour tout dire, pour tout montrer).
Les personnes qui travaillent sur le bateau, jamais présentes sur ses photos ou dans ses films, sont les “passifs récipiendaires d'un capitalisme tardif”. Ils transportent leur marchandise depuis l’Asie mais se précipitent dans les boutiques de Los Angeles, juste pour le plaisir de pouvoir dire de retour au pays qu’ils font leurs achats à Hollywood. Réaction à laquelle la citation d’Héctor Tobar répond dans It Won’t Be Long Now (The Barbarian Nurseries, Fragment 1), 2014. L’œuvre clôt ce chapitre 2, comme une annonce du volet suivant qui commence à Los Angeles.
Anna Milone