Du principe de culture dans l'oeuvre de Jean-Alain Corre
En 1928, le docteur Alexander Fleming revient de vacances et retrouve son laboratoire du Saint-Mary's Hospital à Londres. Il a la mauvaise surprise de retrouver les boîtes de Petri dans lesquelles il effectue ses expériences sur le staphylocoque envahies par des colonies cotonneuses de moisissures d'un blanc verdâtre. Elles ont été contaminées par les souches d'un champignon microscopique, Penicillium notatum, sur lequel travaille son voisin de paillasse, un jeune mycologue irlandais apparemment peu soigneux. Alors qu'il doit désinfecter ces boîtes contaminées, Fleming s'aperçoit qu'autour des colonies de moisissure il existe une zone circulaire dans laquelle le staphylocoque n'a pas poussé.
Il émet l'hypothèse qu'une substance sécrétée par le champignon en est responsable et lui donne le nom de "pénicilline".
(d'après Wikipédia France)
Quand j'étais enfant mon père me racontait souvent l'histoire du Docteur Fleming qui avait découvert la pénicilline par hasard, et comment ce hasard avait sauvé un nombre extraordinaire de vies humaines, tout cela grâce à la négligence productive d'un jeune laborantin. Quel enseignement moral et pédagogique souhaitait-il me transmettre par là ? Reste que des années plus tard, cette histoire me revient à l'esprit pour expliciter quelques enjeux du travail de Jean-Alain Corre à l'occasion de sa première exposition personnelle à la galerie Cortex Athletico.
L'oeuvre pour moi c'est une sorte de jardinage (...) Il s'agit de voir comment des oeuvres peuvent pousser les unes sur les autres, l'une à côté de l'autre ou l'une dans l'autre.
(propos de l'artiste dans un entretien avec Franck Balland croisé avec un extrait de sa note d'intention pour l'exposition Jungle Joh).
La notion de culture est intéressante à double titre dans la pratique de Jean-Alain Corre. L'artiste glane en effet de nombreux matériaux culturels pour les incorporer à sa pratique, qu'ils soient issus de la haute culture (la sculpture moderne et contemporaine) ou des cultures dites populaires (feuilletons américains, magazines people, machines agricoles, procédés culinaires comme la panure...). Ces éléments cohabitent dans les oeuvres par un procédé intuitif de collage, en accord avec la déhiérarchisation prônée par les artistes de son époque qui ont vu les médias de masse brouiller de façon significative les frontières entre les styles, les provenances et les cultures. Mais l'artiste utilise aussi la notion de culture dans le sens de procédé dynamique, comme on parlerait d'une culture de bactéries ou d'échalotes, par exemple. Jean-Alain Corre parle de la fabrication de l'art comme d'une culture dans le sens où l'artiste doit développer un rapport spécifique au temps et à l'évènement dans la stratégie de production qu'il déploie. Il s'agit de créer des protocoles qui vont se concrétiser certes par une réussite ou un échec, mais surtout rendent compte de la possible transformation d'une situation de départ en une autre. Il s'agit aussi de penser l'atelier comme un espace défini fonctionnant selon certaines règles, qui doivent souvent être ajustées, renégociées en route. Il s'agit d'accepter, comme le docteur Fleming, l'accident qui pourrait arriver, pas dans un sens Fluxien à la désinvolture apolitique, mais plutôt comme une chance à saisir, une occasion de modifier le cours des choses. Et pour que cet heureux accident puisse advenir, il faut le temps du protocole, un temps qui peut être utilisé de façon oisive ou fiévreuse, là n'est pas la question - et toujours en opposition à une autre idée Fluxienne, celle de flânerie, qui me paraît plus que jamais problématique en ces temps troublés ou le temps compte plus que jamais - dans une logique de volonté dynamique, tendue vers l'idée de résultat. Un résultat qui, même s'il n'est pas conforme à l'idée de départ, est à prendre où à laisser comme la conséquence voulue d'un protocole de travail défini et laissée à l'appréciation responsable de l'artiste.
Tout ceci pour clarifier quelque chose quant au qualificatif de trash qu'on a apparemment souvent appliqué au travail de Jean-Alain Corre. Le mot trash (de l'anglais ordure, déchet) renvoie d'une part à l'idée de chaos, et de l'autre part à l'idée de saleté, de péremption, de ce qui serait à jeter. Si la prolifération chaotique intervient comme une première étape sous forme d'expérimentation dans la pratique de l'artiste, elle est ensuite comme nous l'avons vu précédemment soigneusement remise sous contrôle, triée, choisie, selon la logique nietzschéenne du couteau apollinien venant trancher le flux dionysiaque. Les installations finales reflètent alors une complexité qu'il ne faut en aucun cas confondre avec du chaos. En revanche, le trash peut être évoqué dans l'acceptation esthétique du terme, en ce que l'artiste accepte de se confronter à la laideur, à l'inesthétique de certaines formes, si cette laideur ou cette non-conformité lui paraît servir plastiquement l'oeuvre et sa lecture. Le maintien partiel de l'oeuvre du côté dionysiaque, faisant référence à des concepts dérangeants tel que la putréfaction, l'obsolescence, la mort, engage un rapport à la fois mental et corporel particulier d'avec l'oeuvre. La référence constante au monde mécanique agricole, où la machine entre en jeu comme un auxiliaire de culture, matrice ou tuteur monstrueux, se confrontant à une matière qui parfois la salit, la modifie ou la rend inopérante, est en cela révélatrice. L'oeuvre de Jean-Alain Corre est trash, mais pas parce qu'elle évoque un monde hors contrôle. Au contraire, elle nous rappelle ce que la culture doit à la nature dont elle est le corollaire indissociable dans toute sa violence maîtrisée, son inéluctable rapport à la mort comme processus complémentaire du cycle de la vie.
Johnny est une sorte de greffe qui pousse sur le travail. Il ne s'agit pas d'un double psychanalytique, je préfère en parler en termes biologiques. (ibid)
A ce titre, Johnny agit dans l'oeuvre comme une créature métaphorique de la production de l'artiste, au même titre que la créature du docteur Frankenstein a pu être lue comme une métaphore du rapport problématique de sa créatrice Mary Shelley à son oeuvre (elle devient ainsi l'inventeur de la science fiction moderne). Johnny n'est ni un alter ego, ni un double, ni un personnage : il reste non incarné, opérateur insaisissable ? comme le principe de la vie lui-même ? dans l'oeuvre de son créateur. Jungle Joh, épisode 10, est alors la réunion à un instant T de plusieurs ?uvres de l'artiste, certaines préexistantes à l'exposition, d'autres produites pour l'occasion. Une chemise créé par Anne Bourse, artiste invitée pour l'occasion par Jean-Alain Corre, sera présent et agira comme le costume d'une situation évoquée lors d'une conversation antérieure et ayant inspiré l'artiste pour la conception du dispositif. On pourra voir deux posters, lointaines évocations d'un dispositif publicitaire, ainsi que des dessins de la série en cours Grazia, réalisés à partir des pages du magazine éponyme pendant des temps définis impliquant le fait de fumer de nombreuses cigarettes et d'accepter le dérapage inhérent à tout après-midi à l'atelier. On verra aussi des silos en céramique gravée présentés lors d'une précédente exposition à l'IAC à Lyon, ainsi qu'un shilom déstructuré faisant lointainement référence au nain de Montmartre ? un autre peintre ? et encore d'autres éléments qui s'incarneront pour faire de cette exposition le résultat éphémère et ponctuel de tout ces protocoles excitants et graves que met en oeuvre le travail de Jean-Alain Corre. Dansons alors dans notre tête au son imaginaire de la musique Jungle du titre.
Dorothée Dupuis
Jungle Joh
Johnny est un intitulé pour un ensemble de travaux que j'aime voir comme une sorte de feuilleton qui fonctionne par épisode. Le projet d'exposition Jungle Joh ressemblera à un générique de série télévisée. Jungle Joh mélange des éléments des différents épisodes de Johnny. Il s'agit de voir comment des oeuvres peuvent pousser les unes sur les autres, l'une à côté de l'autre, ou l'une dans l'autre.
Les lianes de la jungle sont des organismes qui ont développé une physionomie pour monter à la cime des arbres dans le but de trouver un peu de lumière.
Le mot Jungle est aussi utilisé pour désigner un courant musical hybride qui est né dans les année 90.
Jungle Joh est aussi l'occasion de travailler avec une artiste qui s'appelle Anne Bourse qui produira pour l'occasion des chemises pour habiller le corps des gens qui dansent.
Jean-Alain Corre