Dans le cadre du Festival Ritournelles.
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J'ai toujours pratiqué la littérature non comme un exercice intelligent mais comme une cure d'idiotie. Je m'y livre laborieusement, méthodiquement, quotidiennement, comme à une science d'ignorance : descendre, faire le vide, chercher à en savoir tous les jours un peu moins que les machines. Beaucoup de gens très intelligents aujourd'hui, très informés, qui éclairent le lecteur, lui disent où il faut aller, où va le progrès, ce qu'il faut penser, où poser les pieds ; je me vois plutôt comme celui qui lui bande les yeux, comme un qui a été doué d'ignorance et qui voudrait l?offrir à ceux qui en savent trop, un porteur d'ombre, un montreur d?ombre pour ceux qui trouvent la scène trop éclairée ; quelqu'un qui a été doué d'un manque, quelqu'un qui a reçu quelque chose en moins. Dessiner par accès, chanter par poussée, écrire dans le temps, pratiquer le dessin comme une écriture publique, peindre sans fin, chanter des hiéroglyphes, des figures humaines réduites à quelques syllabes et traits, dresser la liste de tous les noms, parler latin, appeler 2587 personnages parlants, traverser toutes les formes. A la radio, j'ai joué de dix-neuf instruments de musiques, j'ai fait de la déclamation musculaire, des dessins pour les aveugles, j'ai chanté sans savoir quoi, j?ai occupé les ondes nationales pendant deux heures vingt ; ailleurs, avec de l?encre noire et un crayon rouge, j'ai dessiné pendant quinze heures de suite une musique sur les murs ; je continue, je quitte ma langue, je passe aux actes, je chante tout, j'émets sans cesse des figures humaines, je dessine le temps, je chante en silence, je danse sans bouger, je ne sais pas où je vais, mais j'y vais très méthodiquement, très calmement : pas du tout en théoricien éclairé mais en écrivain pratiquant, en m'appuyant sur une méthode, un acquis moral, un endurcissement, en partant des exercices et non de la technique ou des procédés, en menant les exercices jusqu'à l'épuisement : crises organisées, dépenses calculées, peinture dans le temps, écriture sans fin ; tout ça, toutes ces épreuves, pour m'épuiser, pour me tuer, pour mettre au travail autre chose que moi, pour aller au-delà de mes propres forces, au-delà de mon souffle, jusqu'à ce que la chose parte toute seule, sans intention, continue toute seule, jusqu'à ce que ce ne soit plus moi qui dessine, écrive, parle, peigne. Etablir toute une chronologie d'horaires minutieux, pour être hors du temps. Placer devant soi mille repères pour se perdre. C'est ce que j'ai toujours recherché en écrivant : le moment où ce n'est plus un écrivain qui écrit, mais quelqu'un qui est sorti de soi, moment qui ne se trouve qu'au bout du long chemin d'exercices, tout à la fin du travail, moment de conscience totale, de libération, moment ou j'ai perdu toute intention d'écrire, de peindre, de dessiner, moment où la parole a lieu toute seule, comme devant moi, hors de moi. Je n'ai jamais supporté l'idée que quelqu'un fasse quelque chose. Mes livres, j'ai mis chaque fois cinq ans à les faire, des milliers d'heures, de corrections maniaques ; mais ils se sont faits tout seuls. Je n'ai jamais écrit aucun de mes livres.
Valère Novarina, Pendant la matière, P.O.L
33 dessins,
technique mixte sur papier, 1994
L'Homme de Logique
L'Ange Imparfait
L'Ecouteur de cailloux
L'Homme à la Négation
L'Homme de Nu
Le Lanceur Catapulte
La plus pauvre des figures
Connaissance des bêtes
L'Enfant Plausible
Animal Observé
L'enfant légiste
L'Ouvrier du corps
Le Joueur violocorde
Juste sang
Mauvaise posture
Le Chanceur Camion et le Chanceur Nihilo
Jean sans trace
Le Monographe
Le professeur Andripode
Ode au Déséquilibriste
Vénerable madrilène
Origine rouge
Le Navirier Chéops
Deux enfants du Oui et du Bas
Le Chercheur de Falbalas
Changement d?animal
L'homme de Un
Le philosophe Jean
Animiste
Les enfants pariétaux
Le lecteur vigilant
L'Enfant de la Mésopotamie