Richard Baquié

Richard Baquié, Dominique Seux

Richard Baquié se rattache au mouvement artistique souvent qualifié « d'Art de la poubelle ». Amorcé par Picasso et Braque avec l'introduction du collage, radicalisé par Schwitters puis développé par Rauschenberg, cet art s'affirme en France dans les années soixante avec les Nouveaux réalistes tels que Tinguely, Arman et Spoerri. Aujourd'hui Tony Cragg et Bill Woodrow en Grande-Bretagne, Richard Baquié en France sont les artistes, représentatifs de ce mouvement original, fondé sur la récupération des déchets.

Après avoir ébauché au sujet et dessiné son projet pour le mettre en forme, Baquié se met à la recherche, tel un « chiffonnier », de matériaux qu'il trouve dans des décharges, vieux objets destinés au rebut ou à la casse. Il les découpe, les assemble et à partir d'éléments tout à fait hétéroclites crée des pièces homogènes. Pour supprimer toute emphase, il donne volontairement un aspect précaire ou une configuration volontairement banale à ses installations. Il réutilise des techniques oubliées, dépassées par le progrès, s'adjoint des machines désuètes, reprend des images chromo ou kistch. Cette attitude est révélatrice d'une certaine nostalgie des objets du passé, de son refus de la sophistication.

Mais la démarche essentielle et originale de Baquié est de vouloir créer « une sculpture qui agit ». Que ses installations soient des « sculptures-machines » ou des « sculptures-statiques », la mise en scène du sujet est primordiale. L'objet est mis en situation pour raconter une histoire et devenir le support de l'imaginaire du spectateur. Par le choix du sujet, les éléments naturels ou mécaniques qui interviennent dans ses sculptures, le langage intégré à ses installations, l'artiste cherche à recréer un monde symbolique. Baquié parle de « déplacement ».

Beaucoup de ses installations mettent en situation certains attributs distinctifs de véhicule ou leur totalité : une portière de train, Autrefois il prenait le train pour travestir son inquiétude en lassitude (1984) ; une représentation simplifiée d'un avion, Situation du vent (1983) ; des morceaux de carlingue de Caravelle, Dérive ou sa maquette Sud (1986) ; une vue volontairement chromo de l'aéroport d'Amsterdam, Schipol (1987) ; des voitures découpées, Amore mio (1985) ; Basse tensoin, Haute tension (1987). Baquié s'explique : « Le véhicule a un objectif, celui de réaliser la compilation des distances, il s'oriente selon sa destination ». De cette manière, il déplace l'imaginaire du spectateur, en jouant sur les notions de temps et d'espace.

Ce jeu interactif entre le temps et l'espace est souvent suggéré également par l'utilisation dynamique d'éléments extérieur à l'objet : l'eau, l'air, le bruit, le son. L'eau, grâce à des procédés électriques, se réfrigère, évoquant la vitesse et le froid dans la pièce Plymouth Ouest (1985), se transforme en vapeur pour simuler le passage de l'avion dans les nuages, Sud (1986), circule en circuit continu pour exprimer « la permanente alimentation » de l'amour dans Passion oubliée (1984). L'air, le vent, produits par des ventilateurs évoquent le déplacement physique, Autrefois, il prenait le train pour travestir son inquiétude en lassitude (1984), ou spatial Schipol (1986). Les sons, les bruits participent aussi à l'animation de sa sculpture : ils permettent de mimer un mouvement physique, La traversée du présent (1986), ou lorsqu'ils égrènent des chansons par l'intermédiaires de vieux transistors ou électrophones, ils font remonter nos souvenirs : Plymouth Sud (1985).

Le langage est également un élément essentiel du déplacement mental que Baquié veut provoquer chez le spectateur. Dans ses premières oeuvres les titres étaient très longs, pour ajouter un sens au sujet ou préciser la narration. En fait il n'est rien arrivé, longtemps après la guerre, il craignait toujours une embuscade (1985). Plus tard il joue sur le déplacement sémantique entre le mot contenu dans le titre et celui de la pièce réalisée. Ainsi en 1987, il expose une oeuvre formée par les mots FIN DE SIECLE à laquelle il donne le titre de Début. Lors d'une exposition au Centre Georges Pompidou en 1987, où la première pièce exposée s'intitulait Dérive, la dernière Sud, Baquié déclarait : «  A chacun de créer son histoire dans cette dérive vers le sud ». Enfin le mot permet à Baquié d'exprimer aussi ses sentiments personnels et le lyrisme inhérent à toute son oeuvre : Solitude, Passion oubliée, L'impuissance à résoudre? Mais il est surtout un prétexte pour poser la question du pouvoir visuel du langage dans l'art. Baquié la formule ainsi : « Le mot est-il récepteur ou émetteur ? », « L'image fait-elle le mot ou le mot fait-il l'image ? »

Mais une sculpture qui agit est aussi pour Baquié une sculpture qui structure l'espace de façon à ce qu'elle « ne fasse plus centre ». L'exemple le plus frappant de cette intention est celui d'Amore Mio (1985) : cette installation constituée de quatre pièces différentes placées aux quatre points cardinaux de la salle d'exposition interpelle directement le spectateur qui, au lieu de se déplacer autour de l'oeuvre, déambule au milieu de ses divers composants. Pourtant, s'il fragmente l'espace, il reconstitue l'unité en donnant à ses quatre pièces un même titre Plymouth s'il les distingue par les directions Ouest, Sud, Est, Nord, il les conçoit pour faire partie du même projet. Ce travail à la fois analytique et synthétique est une des constantes de son oeuvre.

Cependant, depuis 1988, tout en conservant l'ambiguïté entre l'impression et la réalité, entre le mot et l'image, entre la relation espace-temps, Richard Baquié semble s'orienter vers une construction de l'espace plus simplifiée, plutôt bi-dimensionnelle et tend à privilégier l'aspect frontal dans sa sculpture : Instant de doute (1988) ; Nulle part est un endroit (1989).